Gaza Project

Une figure du journalisme palestinien toujours en détention administrative

Ali Samoudi a été arrêté en Cisjordanie le 29 avril par l’armée israélienne, accusé sans preuves évidentes d’être une « menace » et incarcéré. Ce journaliste palestinien renommé avait été blessé lors de l’attaque qui a coûté la vie à sa collègue Shireen Abu Akleh en 2022. Son cas est un nouvel exemple du ciblage des journalistes palestiniens, selon des pratiques déjà exposées dans le Gaza Project coordonné par Forbidden Stories.

Par Youssr Youssef avec Frédéric Métézeau

2 juin 2025

« Il était toujours sur le terrain, c’est ce qui devait les énerver », estime Nasser Abu Bakr, président du Syndicat des journalistes palestiniens (PJS), pour tenter d’expliquer les raisons de l’arrestation d’Ali Samoudi à Jénine (Cisjordanie occupée) le 29 avril dernier. Nasser Abu Bakr dit connaître Ali depuis au moins trente ans et le décrit comme « l’un des meilleurs journalistes de Jénine ». 

« Les forces d’occupation ont opéré une descente à notre domicile vers 5 heures du matin, 20 à 25 soldats étaient présents », retrace Mohamed, l’un des fils d’Ali Samoudi, au micro de RFI. « Ils ont fouillé la maison et l’ont mise à sac en partie. Mon père a eu un interrogatoire d’environ 30 minutes et ils l’ont emmené pour une destination inconnue. » Après plusieurs jours sans nouvelles, la famille finit par apprendre qu’il est placé en détention administrative. Cette procédure renouvelable sans limite de temps permet aux autorités israéliennes d’emprisonner une personne sans inculpation ni procès, très souvent sur la base de « preuves secrètes ». 

Ali Samoudi à Jénine (Cisjordanie) sur les lieux de la mort de Shireen Abu Akleh en novembre 2022 (Crédit : Frédéric Métézeau / Forbidden Stories). 

Reporter reconnu par ses pairs, Ali Samoudi a couvert sans relâche l’actualité à Jénine, notamment l’offensive israélienne de 2002 contre le camp de réfugiés de la ville, un épisode marquant de la seconde intifada. Il a travaillé pour CNN, Reuters, Al Jazeera ou encore le quotidien palestinien Al Quds. Touché à plusieurs reprises lors de ses reportages au fil des ans, sa blessure la plus notable remonte au 11 mai 2022 à Jénine, aux côtés de sa consœur Shireen Abu Akleh avec qui il faisait régulièrement équipe. Elle était l’une des reporters les plus connues d’Al Jazeera et son meurtre a marqué les esprits comme le symbole du ciblage des journalistes palestiniens. 

Un journaliste désigné « menace pour la sécurité »

L’incarcération d’Ali Samoudi s’inscrit dans un schéma récurrent que nous avons décrit dans le cadre du Gaza Project : la mise en accusation de journalistes palestiniens pour faits ou complicité de terrorisme, sans preuves crédibles. 

Selon la BBC, l’armée soupçonne le journaliste d’appartenir au Jihad islamique, sans fournir aucun élément. Sollicitée par Forbidden Stories, l’armée affirme que « le suspect a été  appréhendé sur la base de renseignements indiquant une implication dans des activités organisationnelles et des actions mettant en danger la sécurité régionale. » Elle précise qu’« aucune preuve suffisante n’ayant été trouvée contre lui, et à la lumière des renseignements collectés, les autorités ont délivré un ordre de détention administrative » prévue jusqu’au 28 octobre.

Gaza Project Journalist
Journalistes tués à Gaza : douze médias internationaux unis pour enquêter et poursuivre le travail des reporters palestiniens
Après que le Gaza Project a révélé le ciblage de certains d’entre eux par l’armée israélienne, Forbidden...

Faute de « preuve », quels seraient alors les « renseignements » en possession de l’armée israélienne ? Forbidden Stories a consulté un autre élément du dossier constitué contre le journaliste. Il s’agit de l’interrogatoire, le 21 juin 2022, d’un adolescent palestinien de 18 ans accusé d’avoir jeté des pierres sur des soldats israéliens. Le jeune homme affirme avoir entendu dire qu’Ali Samoudi avait filmé une fusillade commise par un membre présumé d’une organisation paramilitaire palestinienne, contre des militaires israéliens en Cisjordanie. Puis qu’il avait effacé cette vidéo à la demande d’un autre activiste palestinien.

Pour l’avocat du journaliste, Jamil Al Khatib joint par Forbidden Stories, le témoignage du jeune homme est «  ancien », ne repose que sur des propos rapportés et ne constitue pas une preuve suffisante pour établir un lien entre Ali Samoudi et un groupe armé : « [Pour l’armée israélienne] si vous effacez ce genre de vidéo d’une fusillade commise par un combattant alors vous êtes impliqué, vous êtes un partenaire ! Mais ils n’ont pas de bon témoignage. Donc ils ne l’inculpent pas dans une procédure criminelle mais le placent en détention provisoire. »   

Pour Nasser Abu Bakr du PJS, l’accusation contre Ali Samoudi est incompréhensible : « S’ils savent qu’il fait partie du Jihad islamique, ils peuvent le juger. Sans le placer en détention administrative. » Pour un autre de ses fils, Majd, l’explication est simple : « On veut le faire taire (…) Et ce n’est pas le seul. » D’après plusieurs organisations palestiniennes de soutien aux prisonniers, cette arrestation porte en effet à 20 le nombre de journalistes détenus administrativement sur un total de 50 actuellement emprisonnés par Israël depuis le début de la guerre à Gaza.

Âgé de 58 ans, diabétique et souffrant d’hypertension, Ali Samoudi est désormais incarcéré à Megiddo, dans le nord d’Israël. Son avocat déplore auprès de Forbidden Stories, qu’il n’ait toujours pas reçu ses médicaments, et que la nourriture manque en prison. L’administration pénitentiaire israélienne n’a pas répondu à nos questions.

Les risques à être journaliste en Cisjordanie

Éclipsée par la guerre à Gaza – où 180 journalistes ont perdu la vie depuis le 7 octobre 2023 selon le Comité pour la protection des journalistes – la situation en Cisjordanie continue pourtant de s’aggraver, en particulier à Jénine dans le nord du territoire. En janvier 2025, le ministre israélien Bezalel Smotrich responsable de l’administration des colonies demandait publiquement : « Jénine [doit] ressembler à Jabalya », cette ville de la bande de Gaza, aujourd’hui en ruines. Selon plusieurs organismes de l’ONU, le camp de réfugiés de Jénine est devenu, depuis, « une ville fantôme », avec près de 20 000 habitants expulsés.

Le premier volet du Gaza Project Forbidden Stories a montré la violence exercée par des colons israé­liens contre les journalistes palestiniens, ainsi que le ciblage de journalistes par l’armée israélienne en Cisjordanie. Parmi eux, Ameed Shahade, qui témoigne à nouveau aujourd’hui : « La situation [à Jénine] empire de jour en jour. Au début, nous pouvions nous approcher des limites du camp, aujourd’hui, si nous nous approchons, nous risquons de perdre la vie. » 

Le 28 mai, une équipe RFI-France 24 a essuyé un tir de sommation au-dessus de sa voiture dans le quartier d’Al Sharqiya à Jénine. « Nous étions avec le journaliste palestinien Mohamed Mansour car, à travers son cas, nous voulions illustrer la difficulté du métier de journaliste en Cisjordanie occupée » raconte Amira Souilem à Forbidden Stories. La correspondante de RFI et France 24 – médias partenaires du Gaza Project –  précise que « à l’avant, Mohamed et notre cameraman palestinien portaient bien leur gilet pare-balles siglés ‘Press’. La voiture était également siglée et à ce moment-là, le caméraman filmait. Tout indiquait qu’on était une équipe de journalistes. » Ces derniers ont alors rebroussé chemin.

L’armée israélienne nous assure que « elle n’a jamais ciblé et ne ciblera jamais de journalistes en tant que tels ». Mais Ameed Shahade s’interroge : « Dans un environnement où les enfants et les civils sont tués par les balles de l’armée d’occupation, comment peut-on protéger les journalistes ? ». En juin 2024, Issam Rimawi, un autre reporter cisjordanien confiait déjà au Gaza Project : « J’ai perdu [l’espoir d’obtenir] justice après la mort de notre collègue Shireen (…) Le monde entier était avec elle, parlait d’elle. Il n’y avait pas de 7 octobre, il n’y avait rien. Et pour quel résultat ? » Le meurtre de Shireen Abu Akleh reste à ce jour impuni, alors qu’une enquête de l’armée israélienne a conclu qu’elle avait été tuée avec une « forte possibilité » par un « tir accidentel » d’un soldat israélien. 

Trois ans plus tard, des journalistes révèlent l’identité du tueur présumé de la journaliste dans un documentaire. Un soldat de 20 ans, lui-même tué dans une explosion à Jénine en 2024. Dans ce film, Ali Samoudi explique que « cette balle voulait empêcher les médias palestiniens de documenter et exposer les crimes de l’occupation ». En le plaçant en détention administrative, l’armée israélienne semble avoir trouvé une autre manière d’entraver son travail de journaliste.

Dernières actualités