Par Laurent Richard
«Cette histoire doit être racontée. » Le 26 juin 2022, soit 11 jours après la découverte des corps de Bruno Pereira et Dom Phillips, les caméras du monde entier captaient la colère de Sian Phillips, la sœur du journaliste britannique assassiné. Entourée de ses proches, tous en T-shirt noir sur lequel était floquée une image de Dom au milieu de la forêt, elle expliquait que son frère venait d’être tué pour avoir « tenté de raconter ce qui se passe en Amazonie ».
Enquêter sur les crimes environnementaux est devenu ces dernières années l’un des sujets les plus dangereux à couvrir quand on est journaliste. Selon RSF, deux journalistes sont tués en moyenne chaque année en raison de leur travail sur la déforestation, les activités minières illégales, l’accaparement des terres, la pollution et autres sujets liés à l’impact des activités industrielles. Les défenseurs de l’environnement le paient eux aussi très cher. 1700 d’entre eux ont été tués entre 2010 et 2020 selon un rapport de Global Witness.
Dom Phillips comptait pourtant parmi les reporters les plus aguerris. Il a sillonné l’Amazonie pendant plus de 15 ans. Bruno Pereira, expert des communautés indigènes, connaissait lui aussi mieux que quiconque ce terrain. Ils étaient partis travailler ensemble dans la Vallée de Javari que des trafiquants de bois, de drogue et de poissons ont transformé en hub de la contrebande criminelle.
Les meurtriers de Bruno et Dom n’empêcheront pas l’opinion publique de savoir. Pendant une année, sous la coordination de Forbidden Stories, plus de 50 journalistes de 16 organisations de presse ont poursuivi leur travail, afin qu’il ne meure pas avec eux. Ils sont morts pour avoir tenté de nous informer sur les crimes de ceux qui lacèrent le poumon de notre planète. Vous trouvez ce sujet loin de vous ? Il est pourtant notre quotidien. L’appétit mondial pour la viande de bœuf accélère la catastrophe. Environ deux tiers de la déforestation de l’Amazonie est causée par l’élevage bovin.
En 2019, nous avions déjà coordonné le « Green Blood », avec une trentaine de médias, poursuivant les enquêtes de journalistes indiens, guatémaltèques et tanzaniens sur les dégâts environnementaux causés par l’industrie minière. En remontant les « supply chain », nos reporters avaient croisé la route de dizaines de multinationales et fini au cœur de la Silicon Valley.
Sans journalistes sur le terrain, personne ne saura dire ce que font nos industriels au-delà de leurs campagnes de publicité toutes plus vertes les unes que les autres. Le changement climatique affecte les populations les plus vulnérables. Les journalistes et défenseurs de l’environnement qui tentent de le raconter le sont tout autant. C’est pourtant un droit pour la presse, officiellement proclamé à Rio en 1992 sous l’égide des Nations Unies lors du « Earth Summit », que de pouvoir questionner les entreprises polluantes, et les décideurs politiques qui les laissent faire, façon « Don’t look up ».
Sans accès à une information indépendante, personne ne sauvera la planète.
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