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A Malte, les noirs secrets du dossier « Daphne »
Trois ans après l’assassinat de la journaliste maltaise Daphne Caruana Galizia, plusieurs indices désignent comme commanditaire un puissant homme d’affaires, Yorgen Fenech. Alors que ce dernier nie toute implication, divers éléments, révélés par Le Monde et les médias partenaires du « Projet Daphne », le mettent en cause.
Par Arthur Bouvart et Anne Michel, journaliste pour Le Monde
Octobre 2020
Traduit par Phineas Rueckert.
Il est prêt. La police maltaise doit débarquer d’un jour à l’autre dans sa maison du Sud de l’île de Malte, pour l’arrêter dans une affaire de blanchiment d’argent. Il risque des années de prison. Alors il a préparé de quoi ne pas tomber seul : des photos, des téléphones et trois clés USB contenant des enregistrements compromettants, le tout rassemblé dans un bac de crème glacée vide.
Une boîte qu’il tient serrée contre lui, ce 14 novembre 2019, quand soudain, l’unité spéciale criminalité économique l’interpelle dans sa voiture. Et que ce chauffeur de taxi de 42 ans n’ouvrira qu’en présence d’un commissaire de police. Il a aussi préparé une lettre d’aveu, en caractères majuscules, qui commence ainsi : « Je soussigné Melvin Theuma affirme que je suis l’intermédiaire dans l’affaire de Madame Caruana Galizia. Je vous transmets ces preuves pour que vous sachiez qui m’a embauché et a payé pour la bombe ».
L’information de son arrestation se répand vite sur la petite île méditerranéenne. L’affaire réveille chez les 500 000 habitants le traumatisme du 16 octobre 2017, jour de l’assassinat de la célèbre journaliste et blogueuse anticorruption maltaise Daphne Caruana Galizia, dans un attentat à la voiture piégée. Tout le monde garde en mémoire les images d’horreur : le véhicule calciné, fumant, projeté dans un champ par l’intensité de l’explosion. L’enquête judiciaire ouverte depuis deux ans n’a rien donné, sinon l’arrestation de trois malfrats mutiques liés au milieu maltais, qui auraient posé la bombe pour 150 000 euros. Cette fois, la vérité a des chances d’éclater. La police détient celui qui affirme avoir fait le lien entre le commanditaire et les poseurs de bombe. A ce pays qui étouffe sous la corruption et envisage tous les scénarios meurtriers, de la piste crapuleuse à la coalition politique, Melvin Theuma livre bientôt un nom : Yorgen Fenech.
Cette révélation, fournie en échange d’une immunité présidentielle, a de quoi saisir la population : Yorgen Fenech, 38 ans, n’est pas exactement un inconnu. C’est l’une des plus grosses fortunes de l’île, l’héritier d’un conglomérat tentaculaire, actif dans l’hôtellerie et les casinos, propriétaire de tout un quartier de luxe sur l’île. On le croise dans les restaurants chics et sur la marina de Portomaso, costume ajusté, crâne chauve et lunettes noires. C’est justement à quelques miles nautiques du port que la douane maritime va le rattraper de justesse, le 20 novembre 2019, alors qu’il tente de s’enfuir avant le lever du jour, pleins gaz, à bord de son yacht de luxe, cap sur la Sicile. En quelques heures, sous les flashes des photographes, le businessman prospère est devenu l’ennemi public numéro un.
Mais qui est Yorgen Fenech, puissant sur ses terres, inconnu ailleurs, même si le groupe familial, Tumas, a investi au cœur de l’Europe, en particulier en France ? A-t-il pu donner l’ordre de tuer cette journaliste de 53 ans, et pourquoi ? Quel crédit accorder à Melvin Theuma, ce chauffeur de taxi habitué à frayer avec le monde interlope de l’usure et des paris illégaux, parfois confus dans les dates, ambigu dans ses propos, sûrement moins ingénu et plus stratège qu’il n’y paraît ?
Formellement poursuivi pour complicité d’assassinat le 30 novembre 2019, Yorgen Fenech a été incarcéré. Il ne sort de prison que pour se rendre au tribunal, où la police et le procureur exposent régulièrement leurs preuves contre lui, dans le cadre d’une procédure dite de « collecte de preuves », propre à la justice maltaise. C’est seulement à l’issue de cette séquence qu’il sera, ou non, mis en examen. Depuis des mois, les témoins, notamment Melvin Theuma, se succèdent à la barre, pour raconter aux magistrats leur rôle dans cette affaire. Yorgen Fenech, lui, clame son innocence. Mais la police dispose de nouveaux éléments de preuve de son implication, selon l’enquête du Monde et des médias partenaires du « Projet Daphne », lancé par le réseau de journalistes d’investigation Forbidden Stories pour parachever le travail de la journaliste assassinée.
Yorgen Fenech’s cruise ship in the Portomaso Marina.
Les téléphones et les clés USB remis par le chauffeur de taxi ont « parlé ». Ils nous renvoient au printemps 2018, bien avant l’arrestation de Melvin Theuma. A l’époque, celui-ci craint pour sa vie, il redoute d’être « liquidé » comme Daphne Caruana Galizia. Pour se protéger, il enregistre ses conversations avec celui qui, affirme-t-il, tire les ficelles de cette histoire. Selon des sources proches de l’enquête, la police dispose ainsi d’un échange de messages, passé par l’application cryptée Signal, et daté du 13 novembre 2019. Melvin Theuma sait son arrestation imminente. Yorgen Fenech, qui apparaît sous le nom de « Yurgin », le met en garde :
– « Tu dois être sûr à 100 % d’avoir tout nettoyé », l’avertit l’homme d’affaires (…) « Pas seulement à propos de ça (…). Ne laisse rien sur aucun numéro, comme ça ils pourront rien te reprocher ».
– « Non non ne t’inquiète pas, je laisserai rien », répond l’intermédiaire.
– « Parfait » (…) Si on garde la tête froide, ça marchera à 100 % ».
Faire disparaître les traces de toute implication dans l’attentat, voilà ce qui semble être l’obsession de Yorgen Fenech. Déjà, au printemps 2018 quand l’un des trois suspects poseurs de bombe, Vincent Muscat, s’était secrètement mis à parler à la police, l’homme d’affaires avait envoyé ce message à Melvin Theuma : « Garde ton calme. Va prévenir Maksar [le surnom d’une famille de la pègre maltaise] qu’il [ Vincent Muscat ] a déjà dit que la bombe avait été fabriquée dans leur garage à Zebbug ». Yorgen Fenech a visiblement été bien renseigné sur ce passage aux aveux, et aussi sur l’avancement de l’enquête. Il ne cesse de vouloir faire le ménage. De fait, il est « celui qui devrait s’inquiéter », comme il le dit au chauffeur de taxi, qui l’enregistre à son insu. Cet enregistrement vient d’être diffusé au tribunal à Malte. Le son est de piètre qualité, les voix des deux hommes résonnent, pleines de tension, mais on comprend clairement que Melvin Theuma tente de rassurer Yorgen Fenech :
– « S’ils doivent remonter à quelqu’un, ce sera à moi. »
– « Celui qui a facilité l’opération ne risque pas autant que celui qui l’a faite », rétorque l’homme d’affaires.
– « Ne t’inquiète pas, ton nom n’a jamais été mentionné », finit par conclure l’intermédiaire.
Selon le témoignage du chauffeur de taxi, le sort de la journaliste aurait été scellé au printemps 2017, quand Yorgen Fenech lui aurait confié au sortir d’un restaurant, le Blue Elephant, sur la marina : « Je veux tuer Daphne Caruana Galizia ». A l’époque, les deux hommes se côtoient depuis de nombreuses années, l’un convoie la famille de l’autre en taxi et dispose de sa place attitrée devant le Hilton familial de Malte. Ils partagent la passion des courses de chevaux. C’est d’ailleurs comme ça qu’ils se sont rencontrés. Yorgen Fenech a grandi sur l’hippodrome de Marsa, au Sud de l’île, dont son père Georges a longtemps été président. Quant à Melvin Theuma, il arpentait les gradins pour prendre des paris illégaux sur les courses. Il n’était pas rare que Yorgen, devenu propriétaire d’écurie, passe par Melvin, le « bookmaker » clandestin, pour placer de l’argent sur les chevaux.
Yorgen Fenech.
Mais en avril 2017, Melvin Theuma accepte sa part d’un tout autre contrat : tuer Daphne Caruana Galizia. Il affirme avoir reçu alors des mains de Fenech une enveloppe de 150 000 euros, pour engager les tueurs. L’été suivant, l’intermédiaire doit faire face à la fébrilité de Yorgen Fenech. « A partir de ce moment-là, Yorgen m’appelait sans cesse. Coup de fil sur coup de fil : « va leur dire de l’éliminer vite, il faut la tuer vite », a indiqué le chauffeur de taxi devant les magistrats.
A l’époque, Daphne Caruana Galizia s’est lancée, jusqu’à l’obsession, dans un combat pour faire éclater la vérité sur la corruption qui ronge Malte et s’intéresse aux affaires troubles dans lesquelles semble tremper le groupe familial Tumas, piloté par Yorgen Fenech. Ainsi, au moment de sa mort, la journaliste a dans son viseur l’obtention, en 2013, du plus gros marché public de Malte, par le consortium Electrogas dirigé par ce même Fenech, et dont Tumas est actionnaire, aux côtés notamment de Siemens et d’une entreprise publique d’Azerbaïdjan. Ce contrat d’une durée de dix-huit ans porte sur l’exploitation d’une nouvelle centrale énergétique, qui doit fournir le gaz et l’électricité à tout le pays, en assurant son indépendance énergétique. Daphne Caruana Galizia pense le contrat entaché de corruption quand, quelques semaines avant d’être assassinée, elle reçoit une fuite de données ultrasensibles provenant d’Electrogas. Plus de 600 000 emails internes qu’elle n’aura pas le temps d’exploiter.
Ces informations signent son arrêt de mort. Du moins est-ce aujourd’hui la conviction des policiers en charge de l’enquête : « Nous avons toujours pensé que Daphne Caruana Galizia a été tuée à cause de quelque chose qu’elle allait révéler, pas à cause de quelque chose qu’elle avait publié », a déclaré un inspecteur, fin août, au tribunal.
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L’infatigable investigatrice avait fait une autre découverte : 17 Black, une mystérieuse société enregistrée à Dubaï et utilisée, croyait-elle, par le gouvernement pour entrer et sortir de l’argent de Malte. Elle avait appris que cette société devait verser de l’argent au chef du cabinet du premier ministre d’alors, Keith Schembri, et au ministre de l’énergie, sur des comptes secrets au Panama. De graves soupçons de rétrocommissions, qu’elle n’aura pas non plus le temps d’étayer. Elle est assassinée avant d’avoir pu trouver qui se cache derrière la société de Dubaï. 17 Black – comme le révéleront plus tard l’agence Reuters et Times of Malta, membres du « Projet Daphne » – appartient en réalité à Yorgen Fenech. La société lui sert notamment de caisse noire.
Sollicité par les membres du « Projet Daphne », les avocats de M. Fenech affirment que leur client « nie toute implication dans le meurtre » et souligne que « les preuves de Melvin Theuma regorgent d’affirmations peu fiables et de contradictions inexpliquées ». « Nous sommes convaincus qu’un procès équitable continuera à mettre en évidence la fausseté de ses allégations, disent-ils, M. Fenech n’a jamais essayé de fuir Malte ni d’échapper à son procès. Il est confiant qu’une enquête scrupuleuse démontrera son innocence. »
Tandis que l’enquête maltaise accélère, sous la pression d’Europol, la France se met à son tour à enquêter sur les activités de Yorgen Fenech. Car le groupe Tumas, que gèrent désormais son oncle Raymond et son frère Franco, boxeur de son état, y possède l’Hôtel Hilton d’Evian-les-Bains. Yorgen Fenech lui-même a acheté des chevaux en France, toute une écurie de trotteurs qu’on pouvait encore voir courir fin 2019 à Vincennes ou à Enghien. Ils lui ont rapporté gros, plus de 358 000 euros, par exemple, entre le 1er janvier 2015 et le 31 décembre 2017. Jusqu’à ce que la maison-mère des courses en France lui retire son permis de courir, en février.
Une enquête préliminaire pour « corruption d’agent public étranger » a été ouverte par le Parquet national financier (PNF), en février, après une plainte de la famille de la journaliste associée à Reporters sans Frontière. Ces investigations doivent dire si l’argent gagné en France a pu financer la corruption à Malte, voire l’assassinat de Daphne Caruana Galizia. Les investigations commencent tout juste. « Je ne doute pas un seul instant que le PNF mettra tout en œuvre pour que les investigations soient diligentées le plus rapidement possible, en coopération avec les autorités de Malte et Dubaï », déclare Me Emmanuel Daoud, l’avocat des plaignants.
En France, ceux qui ont croisé la route de Yorgen Fenech se font discrets. Au Haras de Ginai, dans l’Orne, où il a acheté plusieurs bêtes de course, les portes se ferment à l’évocation de son nom. Fabrice Souloy, l’homme choisi par M. Fenech pour entraîner les chevaux en question, un entraîneur de trotteurs bien connu dans le milieu hippique, est sous le coup d’une suspension de licence, à la suite d’une affaire de dopage. Le gérant du haras, Jacky Souloy, ne souhaite pas non plus s’étendre sur ses relations avec l’homme d’affaire maltais : « Je ne peux pas vous recevoir. Fenech avait des chevaux ici, on lui envoyait des factures, il payait. On a répondu à l’administration fiscale, c’est réglé, fini. On n’a plus de relations depuis deux ans. Je mets fin à cette conversation ».
Dans la ville d’Evian-les-Bains où le groupe Tumas possède l’hôtel Hilton, la réserve est également de mise. La direction de l’établissement ne donne pas suite aux appels. Pas plus que la maire de la ville, Josiane Lei, proche des Républicains de la région Rhône-Alpes. Le contrat avec les Maltais, c’est son prédécesseur, Marc Francina (LR) qui l’a passé, pour doter la ville d’un hôtel de prestige face au lac, à deux pas de la Suisse. L’élu, décédé en 2018, n’est plus là pour témoigner. Stéphane Cannessant, ex-candidat soutenu par La République en Marche (LREM) aux municipales et directeur de l’office de tourisme, s’interroge : « Je ne sais pas pourquoi les Maltais ont investi ici. Ce territoire se sent parfois plus proche de la Suisse que de la France. En tout cas cette affaire nous inquiète, pour l’économie locale. Le Hilton d’Evian, c’est 170 chambres au bord du lac, une marque, une tête d’affiche, un emblème qui attire une clientèle étrangère, des clients du Moyen-Orient. On n’a pas envie d’une catastrophe financière ».
Si, à Malte, la vérité sur l’affaire Daphne Caruana Galizia est peu à peu en train d’émerger, une question de taille demeure : Yorgen Fenech, s’il est coupable, a-t-il agi seul ou dans le cadre d’un pacte meurtrier coordonné par les milieux politiques locaux, désireux de se débarrasser de la journaliste ? Aux enquêteurs, l’homme d’affaires dit être victime d’un complot ourdi par Keith Schembri, l’ex-chef de cabinet de l’ancien premier ministre Joseph Muscat, forcé à la démission par le scandale en janvier. Keith Schembri n’était pas seulement son ami et son confident : à l’en croire, il serait le véritable cerveau de l’opération.
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Lors de son audition par la police, Yorgen Fenech a aussi accusé l’ancien chef de cabinet d’avoir versé 80 000 euros aux trois suspects mis en examen pour le meurtre de la journaliste. Toujours d’après M. Fenech, M. Schembri l’aurait tenu au courant de l’évolution de l’enquête de police, du jour de l’assassinat jusqu’à celui de sa propre arrestation, au large de La Valette. Il faut dire que Keith Schembri assistait à tous les briefings donnés par la police au premier ministre. Yorgen Fenech affirme avoir ainsi été « continuellement informé » : l’arrestation des poseurs de bombe présumés puis celle de l’intermédiaire (le chauffeur de taxi Melvin Theuma), la demande d’immunité d’un des tueurs, la mise sur écoutes des téléphones, y compris le sien. Selon des sources proches de l’enquête, Fenech et Schembri auraient échangé environ 800 messages sur l’application WhatsApp, en 2019. Malgré tout, Keith Schembri a déclaré sous serment « n’avoir jamais informé Yorgen de quoique ce soit à propos de l’affaire ». Il a simplement admis n’avoir « révélé à personne leur amitié », y compris à la police.
Ainsi, juste avant son arrestation, Yorgen Fenech s’est entretenu avec lui au téléphone pendant 24 minutes. Que se sont-ils dit exactement ? Mystère. Toujours est-il que l’homme d’affaires accuse l’ex-chef de cabinet de lui avoir fait passer secrètement, quelques jours plus tard, une lettre de quatre pages, par l’intermédiaire de leur médecin commun. Yorgen Fenech est alors en liberté sous caution, pour raisons médicales, sous la supervision du médecin en question. Ce dernier a confirmé aux enquêteurs s’être effectivement rendu, à la demande de Yorgen Fenech, chez Keith Schembri, lequel lui a indiqué les quatre feuilles posées sur un bureau à remettre à son ami. Une lettre que Yorgen Fenech décrit au tribunal comme « un script à suivre », pour accuser quelqu’un d’autre de l’assassinat. Confronté à ces faits, Keith Schembri nie tout en bloc : cette lettre, a-t-il déclaré aux magistrats, « je ne l’ai pas écrite et ne l’ai pas faite passer ».
L’ex-chef de cabinet, comme l’ancien premier ministre de Malte tombé en janvier, ont toujours clamé n’avoir rien à voir avec l’assassinat de Daphne Caruana Galizia. Brièvement arrêté fin 2019 dans l’enquête ouverte pour meurtre, Keith Schembri a été très vite libéré, sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui. Il vient certes d’être à nouveau arrêté, mais dans le cadre d’une enquête distincte, ouverte pour corruption, pour l’octroi de passeports maltais de complaisance à de riches étrangers. Pourtant, si le chauffeur de taxi Melvin Theuma désigne systématiquement Yorgen Fenech comme « le seul commanditaire » à sa connaissance, il a livré à la police diverses informations troublantes, qui laissent à penser qu’il a lui aussi été protégé par l’ex-chef de cabinet. Que dire, par exemple, de cette photo de lui et de Keith Schembri, prise dans les bureaux du premier ministre quelques jours seulement après qu’il ait engagé les tueurs supposés ?
A l’époque, Melvin Theuma a obtenu un emploi fictif pour le gouvernement, comme en atteste un contrat de travail versé au dossier judiciaire et dont M. Schembri nie être au courant. L’intermédiaire affirme également avoir reçu, après l’arrestation des trois poseurs de bombe présumés, la visite d’un collaborateur de l’ancien premier ministre, lui demandant de faire passer des messages aux tueurs, en prison. Des rendez-vous confirmés par d’autres témoins. Keith Schembri a reconnu au tribunal connaître ce collaborateur, mais il a nié « l’avoir envoyé rencontrer Theuma ou avoir parlé du meurtre avec lui. »
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Trois ans après la mort de Daphne Caruana Galizia, devenue une icône de la lutte anticorruption dans le plus petit Etat de l’Union européenne, que sortira-t-il de cet imbroglio, entre preuves et dénis, dans un Etat miné jusqu’à son sommet par l’argent et la corruption ? Le pire n’est jamais sûr, mais le droit maltais pourrait réserver quelques surprises. Le fait d’aider une ou plusieurs personnes à se dégager d’accusations de meurtre, en effaçant toutes traces, ne constitue pas un délit pénal sur l’île. Nul ne peut donc dire à quoi aboutira la procédure judiciaire en cours. C’est d’ailleurs dans ce contexte d’incertitude, avec la peur que jamais la vérité ne sorte, que la famille de la journaliste et blogueuse a créé une fondation en sa mémoire. La Daphne Caruana Galizia Foundation vise à autant à l’honorer, qu’à mettre la pression sur les institutions maltaises.
« Si je devais laisser l’enquête seulement aux mains de la police et du procureur, ça ne mènerait nulle part, déclare son fils aîné Matthew, qui a repris le lourd flambeau de la lutte anticorruption porté par sa mère et se démène pour faire la lumière sur son assassinat. Nous devons nous battre pour obtenir justice, pour le meurtre de ma mère mais aussi contre la corruption, qui en est à l’origine. On pourrait penser que la police fait son travail mais ce n’est pas le cas, il faut constamment la surveiller. »
Les autorités maltaise ont ,par exemple, mis plus d’un an à arrêter Melvin Theuma, affirmant avoir des difficultés à trouver des preuves contre lui. Selon plusieurs sources concordantes Europol, frustré par l’inaction de la police maltaise, a dû menacé de se retirer de l’enquête, si l’intermédiaire n’était pas arrêté. Europol ne souhaite pas commenter cette information mais rappelle « qu’elle a consacré des centaines de jours de travail » et continue à être activement impliquée dans cette enquête.
Un énième rebondissement tragique vient à présent menacer l’issue de la procédure judiciaire. A la mi-juillet, Melvin Theuma, le repenti sur lequel repose une bonne partie du dossier, a tenté de se tuer en se tranchant la gorge. Il a été retrouvé, baignant dans son sang, la gorge lacérée et l’abdomen percé par plusieurs coups de couteaux. Bien qu’il était dans une maison sécurisée et sous protection policière, et qu’il devait à nouveau témoigner le lendemain, des sources concordantes affirment qu’il s’agit d’un suicide, évoquant sa fragilité psychologique, sous la pression des récents développements, et ses pulsions suicidaires. Ses cordes vocales sont atteintes. Nul ne sait quand il pourra reparler et revenir à la barre s’expliquer sur les derniers enregistrements versés au dossier. Sur son lit d’hôpital, après avoir repris conscience, le chauffeur de taxi a tracé, des mêmes lettres capitales que ses aveux, un message sur une feuille de papier : « J’espère que les enfants de Daphne me pardonneront. »